Au tournant du 20e siècle, le cyclisme n’en est qu’à ses balbutiements mais s’est déjà établi comme l’un des sports les plus populaires en Europe Occidentale et aux États-Unis. Si les vélodromes captent la majeure partie de l’attention avec leurs épreuves d’endurance et de vitesse, le cyclisme sur route se développe progressivement. À la fin du 19e siècle, les premières grandes courses émergent avec Bordeaux-Paris (1891), Paris-Brest-Paris (1891) ou encore Paris-Roubaix (1896). En 1903, la discipline bascule dans une nouvelle dimension avec l’extraordinaire succès du premier Tour de France.

Très prisé dans les années 1870 et 1880, le Grand-bi disparaît au profit de la bicyclette dans les années 1890.
Si la France est à la pointe de cet essor, l’Italie n’est pas en reste. En 1876, est organisé Milan-Turin qui constitue aujourd’hui la plus ancienne course du calendrier cycliste. L’expérience n’est toutefois pas reconduite avant 1896 et l’épreuve ne devient annuelle que dans les années 1910, c’est pourquoi elle n’est pas considérée comme la « Doyenne », qualificatif associé à Liège-Bastogne-Liège pourtant seulement créé en 1893.
Au début des années 1890, la Fédération cycliste italienne, par la voix de Gustave Brignone, est la première à défendre la nécessité d’une Fédération cycliste internationale afin, notamment, d’organiser des Championnats du monde sur route. Une partie de la proposition est reprise en 1892 avec la création de l’International Cycling Association, ancêtre de l’UCI. Ironiquement, si l’Italie est bien membre de l’ICA, elle n’est pas considérée comme l’un de ses fondateurs : « À la suite d’une mauvaise interprétation des textes, au moment des invitations, les italiens avaient pris du retard. Leur réponse favorable parvint à Londres hors des délais, et M. Sturney se montra intransigeant. Il fut convenu que l’Italie serait admise au sein de l’International Cycling Association mais qu’elle ne figurerait pas sur la liste des membres fondateurs » rapporte Pierre Chany.
Émergence du cyclisme sur route en Italie
En dépit de ces premières impulsions, le cyclisme en Italie est encore embryonnaire en 1900. Deux obstacles s’opposent à son développement. D’une part, le réseau routier est encore sommaire et souvent en bien mauvais état, en particulier dans le sud du pays où les routes sont en proie au banditisme. D’autre part, la topographie accidentée de l'Italie restreint la possibilité d’organiser des courses à une époque où les changements de développement sont limités pour les coureurs qui ne disposent pas encore de dérailleur. Ainsi, si les artères pavées d’un Paris-Roubaix n’ont rien à envier aux routes cahoteuses italiennes, elles ont l’avantage d’être globalement plates alors que Milan et San Remo, par exemple, sont distantes de cols qui paraissent alors infranchissables.
Néanmoins, petit à petit, les réserves se lèvent et les premières courses s’organisent. Rome-Naples-Rome voit ainsi le jour en 1902 et s’établit rapidement comme un rendez-vous majeur du calendrier italien jusqu’aux années 1930. La course sera reprise après la Seconde Guerre mondiale sous forme d’une course par étapes (Bobet, Robic, Magni, Kübler ou encore Ockers figurent à son palmarès).
Parallèlement, de nombreuses courses au départ de Milan sont créées. Parmi les plus pérennes, citons Milan-San-Remo évidemment. La première édition de la Primavera se dispute au printemps 1907, inspirée par le succès du Tour de Lombardie apparu en 1905. Les deux épreuves font aujourd’hui partie des 5 « Monuments » du cyclisme, avec Paris-Roubaix, le Tour des Flandres et Liège-Bastogne-Liège. L’Italie est également l’un des premiers pays à organiser des Championnats nationaux à partir de 1906 (devançant sur ce point la France).
Ainsi, en 1908, le calendrier des épreuves s’est relativement garni. Voici un aperçu des principales épreuves organisées cette année-là dans la péninsule :
Date |
Course |
Vainqueur |
22 mars |
Milan-Vérone |
E. Azzini |
5 avril |
Milan-San-Remo |
C. Van Hauwaert |
18 juin |
Corza Nationale |
G. Gerbi |
21 juin |
Coupe du Roi |
L. Azzini |
28 juin |
Tour du Piémont |
G. Gerbi |
30 août |
Coppa Bastogi |
L. Fiaschi |
30 août |
Coppa Val d'Olona |
C. Zanzoretta |
15 septembre |
Corsa Vittorio Emanuele III |
C. Galetti |
19 septembre |
Rome-Naples-Rome |
G. Gerbi |
28 septembre |
Milan-Mantoue |
B. Danesi |
4 octobre |
Tre Coppe Parabiago |
C. Canepari |
11 octobre |
Championnats d'Italie |
G. Cuniolo |
18 octobre |
Milan-Modène |
G. Cuniolo |
18-29 octobre |
Tour de Sicile |
C. Galetti |
8 novembre |
Tour de Lombardie |
F. Faber |
Parmi les courses encore existantes, notons que ce calendrier se complètera les années suivantes du Tour d’Émilie et du Tour de Vénétie en 1909, puis du Tour de Romagne en 1910.
En 1908, l’Italie compte déjà deux épreuves de standing international avec Milan-San-Remo et le Tour Lombardie. Il lui manque toutefois un Tour national alors que le Tour de France et le Tour de Belgique rencontrent déjà un franc succès.
La Gazzetta court-circuite le Corriere
La naissance du Giro en 1909 est précipitée par une rivalité entre les deux plus grands journaux sportifs en Italie de l’époque : le Corriere della Serra et la Gazzetta dello Sport, déjà célèbre pour le papier rose sur lequel elle était imprimée. En effet, les courses cyclistes étaient alors organisées par des journaux qui profitaient de l’évènement pour gonfler leurs ventes. Ainsi, en France, l’Auto d’Henri Desgrange avait bénéficié du succès du Tour de France pour éliminer son principal adversaire, le Vélo, dirigé par Pierre Giffard.
Une concurrence analogue fait rage en Italie. Inspiré par l’effet du Tour de France sur les résultats financiers de l’Auto, le Corriere della Serra envisage dans le courant 1908 de créer un Giro d’Italia sur le même modèle, en s’associant à la marque de cycle Bianchi, ainsi qu’au Touring Club italiano, une association destinée à promouvoir le tourisme en Italie qui avait déjà montré sa capacité à organiser ce type d’évènement avec la promotion d’un rallye automobile à travers l’Italie.

Armando Cougnet fut le premier directeur du Giro en 1909.
L’information parvient aux oreilles d’Angelo Gatti, un ancien employé de Bianchi qui avait depuis monté une société concurrente, Atala. Gatti conservait une rancune tenace à l’encontre de son ancien employeur et s’empressa de divulguer l’information à Tullo Morgagni, le rédacteur en chef de la Gazzetta. Il lui proposait ni plus ni moins de court-circuiter Bianchi et le Corriere en annonçant au plus vite l’organisation d’une course par étapes à travers toute l’Italie.
Le 5 août 1908, Morgagni envoie un télégramme en urgence au propriétaire de la Gazzetta, Emilio Camillo Costamagna, alors en vacances, ainsi qu’à Armando Cougnet, le rédacteur en chef de la section cyclisme du journal : « Sans tarder, la nécessité oblige la Gazzetta à lancer un Tour d’Italie. Retour à Milan. Tullo ».
Deux jours plus tard, la Gazzetta annonçait en une la création du Giro qui se déroulerait en mai de l’année suivante, promettant une prime de 3 000 lires au vainqueur. L’aventure était lancée !